
La suite de nombres 1, 3, 5, 7, 11, 13… qui ne sont divisibles que par 1 et par eux-mêmes, cela vous dit quelque chose, non ? Peut-être vous rappelle-t-elle des souvenirs de cours de mathématiques, souvenirs heureux pour certains et, pour d’autres, un de ces charabias obscurs propre aux professeurs de maths de l’époque. Combien d’entre nous se sont cassé la tête à chercher une formule magique pour deviner le prochain nombre premier ! Une formule qui, si elle existe, semble davantage relever du divin.
Cet exercice, acharné dans les salles de classe, fut encore plus féroce entre les plus grands mathématiciens de l’histoire. Oui, les nombres premiers se sont constitués leur propre marché ! Vous avez bien lu : les nombres premiers s’achètent et se vendent, car ils sont au cœur de nos vies quotidiennes. Que ce soit pour sécuriser nos transactions bancaires, garantir la confidentialité de nos échanges ou protéger les infrastructures critiques d’un pays, les nombres premiers sont omniprésents. Ils sont la base même des systèmes de cryptographie qui protègent nos informations sensibles, rendant chaque opération en ligne – de nos achats aux échanges confidentiels – sécurisée.
Il m’arrive souvent de dire à ceux qui parlent de souveraineté avec ferveur : “Si vous ne maîtrisez pas la production des nombres premiers, vous ne pouvez prétendre à aucune souveraineté.” C’est aussi simple que cela.
Produire des nombres premiers de grande taille est une tâche d’envergure nationale, exigeant un effort financier colossal, une débauche d’énergie et de compétences, que seuls quelques pays dans le monde peuvent soutenir. Les enjeux sont à la fois politiques, stratégiques et économiques. Aujourd’hui, le plus grand nombre premier découvert compte plus de 41 millions de chiffres. Pour l’écrire, il faudrait plus de 10 000 pages de texte ! Notre sécurité dépend de la production de ces nombres immenses, et la numérisation de nos administrations, de nos systèmes financiers et de notre économie dans son ensemble en dépendent totalement.
Mais qu’en est-il dans nos pays du Sud global ? Nous, qui avons érigé la souveraineté en dogme, en ligne rouge infranchissable, où en sommes-nous vraiment dans la maîtrise de cette “arme” discrète ? Dans un monde où les nombres premiers sont une véritable monnaie de pouvoir et de sécurité, il est urgent de s’interroger.