ENTRETIEN. Réformes économiques, rente pétrolière, société civile…, l’homme d’affaires, connu pour son franc-parler, décrypte la situation actuelle du pays.
Depuis qu’il a claqué, en 2014, la porte du Forum des chefs d’entreprise (FCE) algérien en pleine élection présidentielle, Slim Othmani, PDG de l’entreprise algérienne numéro un dans les jus de fruits, est une des voix qui comptent dans le débat économique. Également président du think tank Care (Club d’action et de réflexion autour de l’entreprise), l’homme d’affaires est revenu sur la situation inquiétante de l’économie algérienne avec la rente pétrolière et aussi les nouvelles perspectives qu’ouvre le business avec l’Afrique subsaharienne. Il explique.
Le Point Afrique : Vous avez tendance à critiquer l’environnement des affaires en Algérie. De nouvelles réformes ont été prises, d’autres sont prévues. Les choses évoluent dans le bon sens ?
Slim Othmani : C’est effectivement une étiquette difficile à enlever. Au-delà de cela, ce qui m’intéresse plus que tout, c’est l’amélioration du climat des affaires en Algérie. On constate aujourd’hui que le gouvernement a beaucoup de difficultés à se départir de l’emprise qu’il a sur le monde de l’entreprise. Comme il peine à en finir avec la ségrégation « entreprise publique » versus « entreprise privée ». De façon paradoxale, le gouvernement multiplie les signes d’ouverture tout en augmentant le nombre d’entraves à la liberté d’entreprendre. Ce qui me fait dire qu’il existe deux courants de pensée qui s’entrechoquent au niveau de l’exécutif : l’un, très ouvert, partisan d’une Algérie moderne; puis celui de ceux appartenant à une ligne plus dure, qui prônent quasiment un retour aux années 70, dans une logique de patriotisme économique aveugle, et une tentation populiste très forte. Probablement que la fin d’une époque, perçue par beaucoup d’entre nous, pousse certains à se positionner de façon opportuniste, au détriment de l’économie algérienne et de l’avenir de toute une nation.
Une relation entretenue par la rente pétrolière. La chute des barils du cours du pétrole aurait pu entraîner une réforme profonde du modèle algérien. Encore un rendez-vous manqué ?
Tout à fait ! Et les options prises sont incompréhensibles. Seules la résorption du déficit budgétaire et la préservation du climat social ont guidé les rédacteurs des dernières décisions. C’est bien dommage, car on ne bâtit pas une économie prospère sur le court terme.
La transition est toutefois amorcée, même si elle est encore timide. Le risque étant de déstabiliser le pays. Aussi pervers soit-il, c’est ce modèle, très social, qui a permis à l’Algérie de sortir, seule, de la décennie noire et de retrouver un semblant de stabilité…
Je n’en disconviens pas. Le problème majeur étant que nous ne sommes toujours pas dans un mode participatif. On ne consulte pas les acteurs économiques, la société civile. Pour preuve, le chef de l’État et le Premier ministre eux-mêmes ont maintes fois exhorté, lors de conseils des ministres, le gouvernement à consulter davantage la société civile. Les faits sont têtus. À titre d’exemple, la loi de finances 2017, qui n’a pas été rendue publique suffisamment tôt, a été rejetée. Parce qu’il n’y a pas de démarche claire de communication, un semblant de discussion et d’échange. Il y a de telles guerres de pouvoir au niveau de la classe politique que le bateau n’avance pas, malgré les orientations données par le président de la République.
L’alternative viendra-t-elle du secteur privé ? Lequel pousse à une série de réformes. Il est par ailleurs à l’initiative, le FCE du moins, du Forum africain d’investissements et d’affaires qui se doit tenir en décembre prochain…
On manque d’humilité d’une certaine manière. On doit se poser la question de savoir ce que nous avons à apporter aux pays africains, lesquels n’ont pas attendu les entreprises algériennes. Les grands acteurs du monde sont déjà présents sur le continent, la Chine, l’Europe, mais aussi le Maroc… Il faut une stratégie claire de déploiement à l’international. Les instruments qui vont accompagner l’offensive algérienne devront avoir été mis en place (nous n’avons pas besoin de réinventer la roue, copions dans un premier temps ce qui existe ailleurs). En 1970, Boumediene avait tracé les grandes lignes de la stratégie africaine de l’Algérie. Mais, à sa mort, le projet est tombé à l’eau. On doit aussi envisager des alliances stratégiques comme avec la Tunisie, pays qui, de mon point de vue, est consubstantiel à l’Algérie. La frontière économique devrait être bannie pour une plus grande mobilité des personnes et des capitaux. La Tunisie compte d’importantes compétences, un tissu économique diversifié sur lequel on pourrait s’appuyer. La Tunisie devra rester une priorité dans la stratégie algérienne. Au-delà, il faut une diplomatie économique active que le ministère des Affaires étrangères tente de déployer. On ne peut que s’en réjouir…
Dans de nombreuses interviews, vous appelez à un changement de mentalité. Le processus est en cours ? On voit notamment de plus en plus de jeunes entreprendre, innover, des think tanks faire preuve de propositions très concrètes et nourrir le débat. Je pense à Nabni mais également à Care que vous présidez…
J’ose croire cela. On commence à le percevoir au niveau des banques publiques qui viennent vers nous. Jusqu’à présent, elles se limitaient à des activités de dépôt, aujourd’hui, elles se transforment. Signe qu’un changement de mentalité est en train de s’opérer. Il est aussi palpable au niveau de divers services publics. L’Algérien accepte finalement de servir l’Algérien. Un continent a besoin de pays locomotives et un pays a besoin de sociétés locomotives. Aujourd’hui, l’Algérie est une locomotive dont on commence à apercevoir la fumée, ça va démarrer. Je le pense sincèrement, mais cela prend trop de temps et le risque « social » n’est pas à exclure. Je le répète, on perçoit les signes d’un changement d’époque sous l’influence de nombreux acteurs. D’excellentes idées pour l’Algérie sont proposées et on commence à entendre ces nouvelles voix. Il s’agit désormais d’inscrire les opportunités et les espoirs dans cette image positive d’une Algérie rêvée. Oui, l’Algérie n’est peut-être pas le paradis sur terre, il y a encore des obstacles à l’entrepreneuriat, mais c’est un pays qui regorge d’opportunités, où l’on peut réussir de très beaux projets, avec une rentabilité intéressante. Notons au passage que le secteur des services a toujours été ignoré par les gouvernements qui se sont succédé qui n’ont d’yeux que pour l’industrie. En améliorant la qualité de vie via le développement des services, on va pourtant créer une multitude d’emplois, bien plus que n’en créerait l’industrie. En attendant, on vit tous dans une immense Sonatrach…