Slim Othmani, juin 2025

C’est un livre difficile, parfois presque illisible, qui m’a conduit sur cette voie : Histoire écologique et raciale de la sécularisation de Mohamed Amer Ameziane. Un texte étrange, exigeant, radicalement marginal, mais traversé par une idée féconde : celle d’un lien profond entre les logiques de domination coloniale, la sécularisation occidentale, et l’appropriation du monde naturel par une modernité arrogante. De là à l’Algérie d’aujourd’hui, il n’y a qu’un pas. Si j’ai juste parcouru en diagonale ce texte, en revanche, il a suscité en moi ces quelques interrogations. Ainsi j’ai commencé à me demander pourquoi notre imaginaire politique reste sourd à la question écologique, alors même que notre territoire en subit de plein fouet les effets. Et ce silence n’est pas technique. Il est structurel. Il en dit long sur la manière dont nous continuons à penser l’État, le pouvoir, la richesse, le progrès.
Alors j’ai posé la question. Non pas qui parle d’écologie, mais qui, en Algérie, fait réellement de l’écologie politique — c’est-à-dire une approche de l’environnement qui ne sépare pas nature, pouvoir, justice sociale et modèle économique. Et dans quel but ? Au profit de quoi, de qui ? Et surtout, pourquoi ces différentes logiques d’action — pouvoir, gouvernement, partis, ONG, citoyens, école, famille — ne se croisent-elles jamais ? Pourquoi aucune coalition ne se forme ? Pourquoi aucun projet commun ne se dessine ?
Commençons par le sommet. Le pouvoir parle souvent d’écologie. Il parle de souveraineté hydrique, de transition énergétique, de sécurité alimentaire. Il utilise les bons mots. Mais pas dans le bon ordre. Car dans ce récit vertical, la souveraineté devient un prétexte, une bannière, un rideau. Le climat y est évoqué comme une menace extérieure ; jamais comme un révélateur de notre propre modèle. L’environnement est brandi comme justification d’autorité, jamais comme espace de participation. L’écologie, dans ce contexte, sert l’appareil plus qu’elle ne questionne ses fondements. Elle sécurise, elle légitime, elle donne à voir une efficacité supposée. C’est une écologie d’image, d’encadrement, de contrôle. Je fais ici la distinction entre pouvoir et gouvernement : le premier trace les lignes idéologiques et narratives, le second exécute, souvent sans en discuter le sens.
Le gouvernement, lui, fait de l’écologie une affaire de schémas directeurs, de normes, de barrages, de dessalement, de projets pilotes et de documents de stratégie. Il agit. Il dépense. Il réglemente. Mais il ne pense pas. Et surtout, il ne relie pas. Chaque ministère reste dans son couloir. Les conflits d’usage sont traités par silence administratif. L’eau, l’agriculture, l’urbanisme, l’énergie, la biodiversité : rien n’est coordonné. Le réel est découpé en secteurs. Et l’écologie devient une opération comptable.
Les partis politiques ? Ils ne font pas mieux. Aucun ne porte une vision écologique structurée. L’écologie, dans leur imaginaire, est un supplément de programme, un verdissement cosmétique. On préfère continuer à faire campagne sur l’identité, l’histoire, le logement, la redistribution. Mais pas sur le modèle de production, pas sur le territoire, pas sur les limites naturelles. Ils ne croisent pas les luttes sociales et écologiques, alors même que tout les relie.
Viennent ensuite les associations, les ONG, les collectifs citoyens. C’est là que quelque chose frémit. Qu’on plante, qu’on protège, qu’on alerte. C’est là que l’écologie devient action, résistance, enracinement. Mais ici aussi, l’action reste fragmentée. Le risque, permanent. La parole, surveillée. Ces acteurs ne peuvent structurer seuls un projet politique. Ils résistent, ils ne transforment pas encore. Leur intérêt est clair : préserver la vie, là où elle est menacée. Leur posture est juste. Mais le système institutionnel ne les reconnaît pas comme interlocuteurs légitimes. Il les tolère. Parfois. Souvent non.
Mais ici aussi, les contradictions ne manquent pas. Dans de nombreux pays du Sud, y compris en Algérie, une partie des élites comme des citoyens perçoit les Objectifs du Développement Durable (ODD) — ces objectifs promus par les institutions internationales — non pas comme des leviers d’émancipation, mais comme une nouvelle forme de standardisation venue d’en haut. Pour certains, ils prolongent l’ancienne logique coloniale par des indicateurs plus subtils. Pour d’autres, ils constituent un filtre hypocrite, qui pénalise les produits fabriqués dans les pays à bas coûts tout en préservant les marchés des puissants. Cette méfiance, qu’on ne peut balayer d’un revers de main, renforce la défiance envers toute tentative d’articuler écologie et politique publique. Elle nourrit l’idée que l’écologie est un luxe de riches, ou pire, une injonction déguisée à rester pauvres.
Et puis il y a les deux grands absents : l’école et la famille. Et pourtant, c’est là que tout commence. C’est là que l’on apprend à nommer, à habiter, à respecter. Et c’est aussi là que l’on désapprend. Si l’école ne parle pas d’eau autrement qu’en litres, si la famille ne parle pas de nature autrement que comme ressource, alors l’écologie ne s’ancrera jamais. Elle restera un discours venu d’en haut.
Alors oui, chacun fait un peu d’écologie politique, à sa manière. Mais personne n’en fait vraiment ensemble. Pourquoi ? Parce que les intérêts sont disjoints. Parce que l’État cherche la stabilité, le privé la rentabilité, les ONG la survie, les partis l’électorat, l’école le programme, la famille la reproduction. Rien ne croise naturellement. Ce n’est pas une question de mauvaise volonté. C’est une question de structure. Et tant que ces intérêts ne s’alignent pas autour d’un projet commun, l’écologie politique restera une idée en attente.
Mais cette convergence, il faut la provoquer. Elle ne viendra pas seule. Il faudra un cercle d’initiative, pluraliste, ancré, désidéologisé. Il faudra écrire un manifeste, non pas pour dire la vérité, mais pour poser les bonnes questions. Il faudra choisir un territoire — un seul, un vrai — et y expérimenter une gouvernance écologique ouverte. Il faudra organiser une conférence, non officielle mais sérieuse, où chercheurs, élus locaux, éducateurs, jeunes, anciens, puissent croiser leur parole. Il faudra désenclaver les imaginaires, reconnecter les langages, articuler le terrain et la pensée.
Et surtout, il faudra que cette écologie politique entre en collision avec les réformes économiques différées depuis vingt ans. Car on ne réforme pas un système productif sans imaginer son avenir. L’écologie politique peut jouer ce rôle. Non pas ralentir les réformes, mais leur donner un cap. Une cohérence. Une boussole. Elle peut aider à repenser le modèle agricole, la formation professionnelle, l’allocation des ressources, la fiscalité, la transition énergétique. Elle peut relier l’économie à la dignité.
Penser une écologie politique algérienne, ce n’est pas plaquer un modèle. C’est partir de ce que nous sommes. Ce que nous avons. Ce que nous risquons de perdre. Et ce que nous voulons préserver. C’est une manière de poser, en des termes simples mais structurants : qu’est-ce qu’un progrès, dans un pays contraint ? qu’est-ce qu’une richesse, dans un pays épuisé ? qu’est-ce qu’un avenir, dans un pays jeune ?
Ce n’est pas une utopie. C’est une nécessité. Mais cette fois, pas au service de l’arbitraire. Au service du vivant.
Ceci est un programme politique mais la politique qui est réèllement au service du pays, pas celle qui vise à etre élu!
l’ecologie n’est pas un problème de riches, ça concerne tote personnes vivant sur cette terre, meme si l’état dans lequel elle est, est du, en partie aux plus riches!