L’Algérie et le Maroc : La Genèse d’un piège de Thucydide cousu de fil blanc ?

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Non ce n’est pas l’annonce de la position officielle de la France ce 30 juillet 2024, concernant la reconnaissance de la marocanité du Sahara Occidental qui me fait réagir. Cet article était en cours de finalisation depuis plusieurs mois. C’est le court passage suivant de la déclaration du gouvernement Algérien “…ne favorise pas une résolution pacifique de la question du Sahara occidental, mais renforce plutôt l’impasse…” qui m’a conforté dans la nécessité de partager avec les lecteurs de mon Blog ainsi qu’avec certains experts, l’intuition que j’ai eue quant à l’origine du mal qui ronge nos jeunes nations nord africaines.

En septembre 2021, l’ex-ambassadeur marocain Omar Hasnaoui a écrit un article sur le site internet Maroc Diplomatique, intitulé « L’Algérie et le Maroc sont-ils pris dans le piège de Thucydide ? ». Pour le Maghrébin convaincu que je suis, ce titre laissait présager une lecture porteuse d’espoir. Mais en se rapportant à la définition suivante : “Le piège de Thucydide est la stratégie, en relations internationales, par laquelle une puissance dominante entre en guerre avec une puissance émergente” on était en droit de se demander, qui l’auteur désignait comme puissance dominante et son corolaire la puissance émergente ?

Malheureusement, bien que la référence historique soit intéressante, le contenu de l’article s’est révélé être un simple réquisitoire contre l’Algérie. On aurait pu s’attendre à mieux et à plus d’élégance de la part d’un diplomate chevronné.

Pour étayer son propos et coller à la comparaison avec la guerre du Péloponnèse et le piège de Thucydide, l’auteur soulignait le paradoxe d’une situation de conflit imminent que ni le Maroc ni l’Algérie ne souhaitaient. Il n’en fallait pas plus pour exciter ma curiosité jusqu’à me poser la question candide suivante : Et si le processus de décolonisation des pays du Maghreb, pensé et réfléchi par l’État profond Français à la fin des années 50 renfermait déjà en lui un ou des pièges de Thucydide latents qui, quels que soient les scénarios d’évolution des pays maghrébins, allaient s’activer d’eux-mêmes ?

Un retour en arrière s’impose, car il pourrait certainement confirmer nos soupçons. Au lendemain de l’indépendance algérienne, deux pays voisins de l’Algérie à savoir le Maroc et la Tunisie avaient déjà accédé à leur indépendance et, la France abandonnait un territoire grand comme plus de quatre fois la France actuelle ; un territoire riche en ressources naturelles ; doté d’une infrastructure qui n’avait rien à envier à de nombreux pays européens et soutenu par des institutions modernes suivant le modèle des départements français, ce qu’était l’Algérie à l’époque. L’agriculture y était prospère et l’industrie naissante.

Il ne s’agit pas ici de vanter les bienfaits de la colonisation, mais de donner une image de ce à quoi ressemblait l’Algérie le 5 juillet 1962, pour un œil non averti. Mais il est plus que nécessaire de rappeler que ce développement socio-économique, en apparence idyllique, s’est fait au détriment des Algériens, au prix d’immenses sacrifices, de violences et d’injustices pratiquées par le colonisateur. La ségrégation battait son plein. L’Algérien était un être humain de rang inférieur, il était : l’Arabe !

Douze millions d’Algériens, autochtones, occupaient le territoire et beaucoup d’entre eux n’avaient pu bénéficier d’un accès à l’éducation. L’absence cruelle de ressources humaines Algériennes formées et compétentes pour faire tourner la machine administrative s’est immédiatement imposé comme l’un des défis majeurs au lendemain du 5 Juillet 1962.

Plus encore, la France en quittant l’Algérie et malgré les accords d’Évian, s’est arrangée pour gripper les plus importants rouages de cette nouvelle nation indépendante, en faisant disparaître certaines archives et en laissant derrière elle une armée quasi secrète d’inféodés qui ont opéré dans l’ombre durant les décennies suivantes.

Si le Maroc et la Tunisie, en tant que protectorats, n’ont pu bénéficier de la même attention en matière de développement, tout prouve que, pour ce qui est de la mainmise discrète sur les rouages de l’administration, cela s’est opéré de la même manière qu’en Algérie, selon un plan bien huilé. Entre les trois pays, les déséquilibres en matière de disponibilité des ressources naturelles étaient flagrants, et la décolonisation de l’Algérie a donné naissance à une puissance régionale en devenir.

Comment le Maroc et la Tunisie ont-ils vécu l’indépendance de l’Algérie ? Les archives des deux pays, encore trop peu accessibles sur cette période, ne nous offrent pas grand-chose sur le sujet, mais certaines voix ont laissé entendre que la réjouissance n’était pas pleinement partagée par les deux pays frères de l’Algérie. La tentation d’un fratricide semblait grande de part et d’autre des frontières.

Le piège de Thucydide commençait à pointer du nez. L’Algérie était menacée !

Le colonisateur savait-il qu’il avait semé les germes d’un piège de Thucydide ?

C’est certainement la mondialisation qui a été le catalyseur de la concurrence entre les trois pays. Même si les trajectoires économiques et politiques ont également joué un rôle déterminant et ont eu pour effet d’exacerber les tensions. C’est aussi le jeu des bons points et mauvais points distribués par le monde occidental, de façon subjective, ainsi que les alliances stratégiques bilatérales entre certains pays du Maghreb et leurs partenaires jugés stratégiques, qui ont jeté l’huile sur le feu de cette désunion maghrébine.

L’affaire emblématique du territoire du Sahara-Occidental est devenue la partie émergente du piège de Thucydide entre l’Algérie et la Maroc. Malheureusement, d’autres graines de ce piège sont soit en mode stand-by soit actives, à l’instar du projet Tanger-Med, de l’usine Renault, du Gazoduc Nigeria-Europe et bien d’autres.

Même du côté Tunisien, chasse gardée (pré carré) de l’Algérie, on s’essaye depuis toujours à quelques revendications territoriales et énergétique, sans trop de conviction je l‘avoue.

Ni les liens culturels, historiques, linguistiques et religieux n’ont pesé dans la balance. C’est l’intérêt des nations en compétition qui prime. Même si au passage ce sont les régions frontalières qui en paient le prix fort en matière de développement.

C’est le postcolonialisme qui est à la manœuvre. Les acteurs en présence lui offrent d’extraordinaires opportunités d’exprimer son machiavélisme, en jouant des uns et des autres au gré de ses propres intérêts.

Après plus de soixante ans d’indépendance des pays du Maghreb, force est de constater qu’une guerre médiatique sans merci entre l’Algérie et le Maroc a pris le dessus sur toutes les formes de dialogue et de diplomatie. Pour quels enjeux se tiennent-ils prêts au combat ? En apparence, l’un pour un territoire qu’il revendique au peuple Sahraouis et l’autre pour son combat de toujours, en l’occurrence le droit des peuples à leur autodétermination. Les deux acteurs sont enfermés dans cette arène avec des enjeux divergents, renforçant notre illusion qu’il n’existe aucun espace pour le dialogue et le règlement pacifique du conflit.

Mais pourquoi les bellicistes des deux camps ne l’ont-ils pas emporté ? Il est fort à parier qu’un conflit entre l’Algérie et le Maroc ne serait avantageux ni pour l’un ni pour l’autre, et surtout ne servirait pas les intérêts de leurs partenaires, l’UE et les États-Unis, ce qui ne serait pas le cas pour la Russie et la Chine porteurs d’un autre agenda.

Une déflagration au Maghreb et son impact sur les régions du Sahel et de l’Europe imposerait aux garants de l’ordre mondial des arbitrages dont il est difficile de mesurer les conséquences.

Comment sortir du piège de Thucydide, si tant est que nous y sommes réellement ?

Ce statu quo retarde considérablement le développement des deux belligérants et du Maghreb tout entier. Le coût du non-Maghreb est rabâché depuis plus de vingt ans dans toutes les conférences. Il existe même des Think Tanks qui en ont fait un fonds de commerce.

Dans les deux pays l’absence de démocratie et donc de débats publics sur des sujets aussi brulants ne permet aucunement d’entrevoir une sortie de crise raisonnable, qui serait tout autant attractive pour les Sahraouis que pour les peuples frères Algériens et Marocains.

Osons donc imaginer que les Sahraouis trouveraient un intérêt à se poser finalement en arbitres entre les deux camps, car cela va dans leur propre intérêt mais aussi dans ceux de bien d’autres acteurs bien plus importants. Leur démarche ne saurait être complète sans le soutien d’un garant, autrement plus crédible que l’ONU, qui soit apte à faire aboutir un processus. C’est certainement une voie à explorer.

Et si l’on convoquait le principal architecte de cette situation, en l’occurrence l’Espagne en tant qu’ancien colonisateur du Sahara-Occidental mais aussi en tant qu’important soutien de la cause Palestinienne. Ainsi pour plus de cohérence dans sa politique étrangère l’Espagne devrait assumer ses responsabilités vis-à-vis de son ancienne colonie. Saurait-elle être cet arbitre crédible et juste ?

Malgré la présence évidente de pièges qui nous sont tendus, pas uniquement par la France, il existe des voies et des moyens de construire un modèle de développement réaliste pour le Maghreb, qui tienne compte des toutes les considrérations géopolitiques et géostratégiques.

Les sociétés civiles des trois pays sont pretes et suffisament matures pour que ce rêve si souvent évoqué se concrétise. Il suffit de leur permettre de faire entendre leurs voix.

Nous oublions trop souvent que “Les Pays n’ont pas d’amis ou d’ennemis permanents ; ils n’ont que des intérêts permanents

2 commentaires

  1. Bonjour,
    Pour ma part, je pense que la solution réside dans la reconstruction de l’Union du Grand Maghreb, avec El Ayoun comme capitale.
    Le Sahara Occidental deviendrait un territoire appartenant à l’Union plutôt qu’à un État membre spécifique.
    Cela résoudrait la question de la capitale tournante de l’Union, unissant ainsi les pays du Maghreb autour d’un projet commun autrefois source de division. Cette approche rappelle celle de Washington, D.C., qui, en tant que capitale fédérale, n’appartient à aucun État mais à l’ensemble des États-Unis.
    L’idée de faire d’El Ayoun la capitale de l’Union du Grand Maghreb, avec le Sahara Occidental comme territoire de l’Union, est effectivement comparable à Washington, D.C. pour les raisons suivantes :
    1. Statut Politique : Washington, D.C. n’appartient à aucun État américain, mais est un district fédéral sous la juridiction du gouvernement fédéral. De même, le Sahara Occidental deviendrait un territoire sous l’administration de l’Union du Grand Maghreb.
    2. Unité Fédérale : Washington, D.C. symbolise l’unité fédérale des États-Unis. De même, faire d’El Ayoun la capitale de l’Union symboliserait l’unité des pays du Maghreb, transformant une source de conflit en un symbole d’unité.
    3. Capitale Administrative : Comme Washington, D.C. abrite les institutions fédérales des États-Unis, El Ayoun pourrait devenir le siège des institutions de l’Union du Grand Maghreb, renforçant ainsi son rôle de capitale fédérale.
    Cette solution permettrait de résoudre les différends territoriaux tout en créant un symbole puissant d’unité pour le Maghreb, à l’image de ce que Washington, D.C. représente pour les États-Unis.
    Just my two cents.

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