“Cinq Têtes Coupées : Massacres Coloniaux enquête sur la fabrication de l’oubli”

   Le temps de lecture 6 min

Daniel Schneidermann – (Seuil)

« L’homme n’est qu’un animal à demi dompté, qui pendant des générations a gouverné les autres par la fourberie, la cruauté et la violence ». Charlie Chaplin

Près de deux cents pages d’électrochocs pour moi, le Magrébin, l’Africain, nourri aux trois valeurs de la République : Liberté, Égalité, Fraternité. Que nous en sommes loin ! Je suis sorti groggy de cette lecture. Comment le mot pardon pourrait-il prendre un sens quand le livre se termine par la phrase : « Oui, on leur érigea des statues. Elles se dressent encore sur les places » ?

Je suis passé mille fois à côté de ces glorifications de la barbarie sans m’en rendre compte, sans comprendre, et surtout sans aucune curiosité. Le «… je pardonne mais je n’oublie pas… » de Mandela ne résonne plus aussi fort en moi. J’ai une incroyable envie de lui dire : Nelson, discutons du mot « pardon » et trouvons-en un autre auquel personne ne pourrait s’accrocher pour, un jour, nous objecter que nous avons pardonné.

Pardonner ne veut pas dire qu’il n’est pas possible de se dédire, de se rétracter. Malheureusement, force est de constater que les bourreaux d’hier semblent avoir trouvé de dignes héritiers encore accrochés à la croyance d’une inégalité entre les Hommes.

Je me réveille à 68 ans après un long moment d’ignorance de ce qui s’est passé en Afrique durant les conquêtes coloniales. Non, la France ne peut plus bénéficier de ce regard admiratif et bienveillant qu’on lui portait bêtement. Je le dis sans honte, car la France nous a menti. À présent, elle se débat et cherche à refuser et réfuter ce qu’on lui reproche. En cette année 2024, la tourmente dans laquelle elle est plongée en est la parfaite illustration.

Pour ceux, comme moi, qui ont été à l’école française, nous n’avons malheureusement pas eu la chance d’un semblant d’objectivité et de pudeur de la part de nos enseignants vis-à-vis de l’histoire coloniale. Et ceux qui s’y essayaient se voyaient immédiatement ostracisés, politiquement j’entends. Ils étaient aussi probablement discrètement dénoncés comme trouble-fêtes.

Cependant, nous, enfants nord-africains, qui n’avons rien connu de l’époque coloniale, pourquoi avons-nous stoïquement adhéré à la réécriture de l’histoire aussi bien par les vainqueurs (les décolonisés) que par les vaincus (les colonisateurs), en l’occurrence la France ? À ce jour, nos sociétés sont tétanisées et effrayées à l’idée d’aborder ces questions en y mettant de l’intelligence. Ceci, quand la mémoire n’est pas instrumentalisée par les uns et les autres, survolant de façon sélective les incroyables atrocités infligées. Pourtant, il faudra bien que l’on s’y mette un jour.

Non ! Il ne s’agit pas d’identifier ou de désigner un ennemi éternel comme certains cherchent à nous le faire croire. C’est le réchauffement climatique et la fonte des glaciers qui ont permis de révéler le corps d’Ötzi, l’homme des glaces, dans un état de conservation exceptionnel. Il nous a offert un saut vertigineux dans le temps et nous a permis d’obtenir de précieuses informations sur ce qui a causé sa mort ainsi que sur les us et coutumes de l’époque. Là aussi, c’est le bouillonnement social planétaire, la démocratisation d’Internet, le deux poids deux mesures du monde occidental et l’exceptionnel accès aux archives de l’histoire qui ont permis à des informations soigneusement cachées d’être révélées au grand jour.

Que de douleurs ressenties, que de remises en question ! Je viens de renaître.

Le contexte international tend, malheureusement, à nous rappeler que l’Homme ne retient que très rarement les leçons de l’histoire. Le conflit israélo-palestinien est l’exemple le plus criant. Il est la reproduction à l’identique de la « mission Afrique centrale » charriant son lot d’atrocités et de mensonges, à la seule différence que cette fois, les réseaux sociaux se sont substitués au Lieutenant Péteau et sa fiancée. Nous ne sommes plus en différé comme en 1898. Nous vivons les massacres et le génocide en direct et le « tuez-les tous » nous l’avons entendu de la voix même des responsables israéliens. Là encore, le mensonge est roi puisque le processus de colonisation forcé a trouvé prétexte en l’agression palestinienne du 7 octobre pour se comporter comme les colonisateurs d’antan en disposant de moyens plus brutaux et plus sophistiqués. La guerre asymétrique est encore à l’œuvre au nom de quoi ? De l’inégalité des races ! Traiter les Palestiniens d’animaux en dit long sur ce qui anime les sionistes.

Cette invitation urgente, oui urgente, à lire l’ouvrage « Cinq Têtes Coupées » de Daniel Schneidermann se veut être mon humble et maigre contribution pour que les générations futures se dédouanent de toutes formes de haine et de vengeance, pour ne se consacrer qu’à l’exercice de l’entretien d’une mémoire à des fins constructives et non destructives ou exclusivement et hypocritement partisanes.

Slim Othmani Alger, Juin 2024

4 commentaires

  1. Les véritables intentions du monde occidentales qui a colonisé et aspiré les richesses de ses colonies en massacrant les populations autochtones, déjà assimilées à des sauvages (comme quoi Israel n’a rien inventé) ne sont plus à dévoiler.
    Le pire, c’est que, aujourd’hui encore, l’Homme blanc reste convaincu de sa suprémacie. Cette conviction justifie à ses yeux le système à plusieurs vitesses dans les relations internationales. Quit à désigner des enfants comme militants terroristes qui ont par conséquent merité leur sort. Aujourd’hui, je ne me demande pas si l’Homme blanc a apporté quelque chose aux colonisés. La question est plutôt comment le faire descendre de son piédestal. Par le truchement de quels mécanismes véritablement démocratiques restaurer la justice et l’équité pour tous? Comment activer les forces utiles ?

  2. Entièrement d’accord une réévaluation de l’histoire coloniale, surtout non partisane doit être effectuée. Elle pourrait éviter de future situation semblable,mais c’est un vœu pieux.

  3. J’en suis actuellement à ce niveau de remise en cause de mes convictions tenues pour définitives. La traite negrière, l’extermination des indiens d’Amérique, la colonisation du Sud par le Blanc, le génocide en direct au nom de la suprématie d’une race autoproclamée supérieure. L’information vécue dans l’immédiateté de sa survenance donnant desormais vie à l’ubiquité le Blanc ne s’ embarrasse même plus d’idéologie pseudo humaniste.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.