◀︎ Entre lucidité et Espérance ▶︎
À l’aube de 2026, il serait tentant de se réfugier dans des vœux polis, convenus, rassurants. Ce serait plus confortable.
Mais ce ne serait pas honnête, car le monde va mal
Il n’est ni apaisé ni stabilisé. Il est fragmenté, nerveux, traversé par des lignes de fracture profondes — géopolitiques, technologiques, sociales, climatiques, mais aussi idéologiques et religieuses. Les certitudes d’hier se sont dissipées, et la promesse d’un progrès linéaire a laissé place à une inquiétude diffuse, parfois à une véritable fatigue morale.
Nous vivons une époque où la complexité n’est plus l’exception mais la norme, où la vitesse l’emporte sur le sens, et où la tentation autoritaire progresse à mesure que la peur et le populisme s’installent. Partout, un nationalisme régressif, souvent raciste, toujours simplificateur, parfois violent, gagne du terrain — au plus grand bénéfice des autocrates et des dictateurs de tous bords.
Et pourtant.
Pour qui accepte de regarder le réel sans détour — sans naïveté, mais sans renoncement — il reste de puissants motifs d’espérer. L’histoire n’est jamais écrite d’avance. Elle bifurque, souvent là où on ne l’attend pas. Elle se redresse parfois par le bas, par des engagements discrets, des résistances silencieuses, des intelligences qui refusent de céder au confort du cynisme.
L’Algérie, elle aussi, se trouve à ce carrefour.
Les raisons d’espérer existent. Elles sont réelles. Elles tiennent à une jeunesse vive, instruite, connectée au monde ; à une diaspora riche d’expériences ; à des ressources humaines et naturelles considérables. Elles tiennent aussi à la géographie du pays — vaste, stratégique, ouverte à la Méditerranée, au Maghreb et à l’Afrique — à une histoire dense, parfois douloureuse, mais fondatrice, et à une culture profonde, diverse, créative, qui n’a jamais cessé de produire du sens, de l’art et de la pensée.
Malgré tout, des femmes et des hommes continuent d’entreprendre, de créer, de réfléchir, de transmettre. Souvent à contre-courant. Parfois à contre-risque. Mais avec une constance qui force le respect.
Les inquiétudes, elles aussi, sont là. Inquiétudes face à l’enfermement politique, à l’érosion des libertés, à l’instabilité réglementaire, à la défiance persistante entre l’État et ses forces vives. Inquiétudes face au court-termisme, aux réflexes défensifs, à la tentation de gérer la complexité par le contrôle plutôt que par la confiance. Inquiétudes, enfin, devant le risque d’un décrochage silencieux : ni effondrement spectaculaire, ni véritable décollage — juste une lente perte d’élan.
Dire cela n’est pas être pessimiste. C’est refuser l’aveuglement.
À cette équation nationale s’ajoutent des horizons régionaux et internationaux encore trop peu exploités. La relation entre l’Algérie et l’Union européenne, faite d’interdépendances évidentes mais de malentendus persistants, pourrait devenir un espace de coopération stratégique mature — à condition de sortir des postures, de part et d’autre. La construction maghrébine, longtemps invoquée, peine toujours à se concrétiser, alors même qu’elle reste une évidence géographique, économique et humaine. Quant à l’Afrique, elle représente un horizon naturel, historique et culturel, encore largement sous-investi, mais porteur de promesses réelles si l’on accepte d’y projeter une vision de long terme.
Rien de tout cela n’est simple. Rien n’est garanti. Mais rien n’est fermé.
Pour 2026, je ne formulerai donc pas une liste de vœux incantatoires. Je formulerai plutôt un souhait central : celui de la lucidité partagée. Car c’est elle qui permet le courage intellectuel, la nuance, la reconstruction de la confiance. C’est elle qui rend possible le débat, le doute fécond, la transmission. C’est elle, enfin, qui empêche les sociétés de se mentir durablement à elles-mêmes.
2026 ne sera sans doute pas une année facile.
Mais elle peut être une année utile.
Une année de clarification.
Une année où l’on choisit, individuellement et collectivement, de ne pas céder à la peur, ni au confort de l’indifférence.
C’est en tout cas le vœu que je forme pour vous, pour nous, et pour ce pays auquel nous sommes liés — qu’on le veuille ou non — par l’histoire, l’affect et la responsabilité.
Très belle année 2026 à toutes et à tous.
Lucide. Exigeante. Et, malgré tout, profondément humaine.