Neutraliser les tensions en neutralisant l’attention

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Partout dans le monde, l’attention est devenue un actif stratégique. Celui qui la capte influence. Celui qui la perd s’efface. Gouvernements, marques, médias, créateurs : tous jouent désormais dans cette guerre feutrée où l’instant d’attention vaut plus qu’un programme électoral ou un bon produit.

Mais en Algérie, c’est un autre scénario qui se joue. Ici, on ne cherche pas à capter l’attention. On cherche à l’endormir. À la disperser. À la dissoudre dans le vide. Et ce vide n’est pas le fruit du hasard. Il est produit, entretenu, justifié.
Comme si, au sommet de l’État, on s’était convaincu que la meilleure manière de neutraliser les tensions… était de neutraliser l’attention. Ce n’est pas tout à fait faux. Le silence officiel, les débats creux, la com’ institutionnelle aseptisée, les médias en pilote automatique : tout concourt à rendre l’opinion amorphe, désengagée. Mais ce serait une erreur de croire que l’État est seul responsable. Le tissu entrepreneurial, les marques, les agences, les institutions éducatives elles-mêmes, participent à cette grande abdication attentionnelle. Le paradoxe est là : on veut vendre plus, mais on ne veut pas attirer. On veut influencer sans exister.
Le marché algérien de la communication est l’un des plus atones du Maghreb. Faible culture de marque, storytelling inexistant, slogans interchangeables… on communique encore comme dans les années 90.

Et pourtant, quelques-uns ont compris. Des marques, des figures, des voix ont su déjouer le vide. Prenez El Mordjane, cette pâte à tartiner locale qui a conquis le cœur (et les smartphones) des Algériens en jouant à fond la carte de l’identification, du clin d’œil culturel, du placement produit bien calibré. Ou Numidia Lezoul, influenceuse controversée mais ultra-synchronisée avec les codes de la captation : storytelling personnel, esthétique léchée, proximité émotionnelle avec sa communauté. Plus brutaux, plus politiques, les clips de Amir DZ ou les podcasts de Abdou Semmar relèvent d’une autre logique : forcer le regard là où il était interdit de porter l’œil. Ils n’informent pas toujours, mais ils captivent. Et dans ce pays où l’information est filtrée, capter l’attention est déjà une forme de pouvoir.

Cette jeunesse, frustrée d’écoute, a compris que l’attention était la seule forme de légitimité accessible. Elle a appris à la provoquer, à la détourner, à la vendre, à la monétiser — souvent de façon maladroite, mais toujours avec instinct.

Alors oui, le vide n’est pas total. Il est strié de signaux faibles, de surgissements, de cris numériques. Mais ce sont des initiatives isolées, dispersées, sans écosystème pour les amplifier. Et tant que l’économie algérienne — publique comme privée — continuera d’ignorer l’attention comme levier, nous resterons hors-champ dans le grand film mondial.

Et le plus ironique dans tout ça ?
C’est que les seuls à comprendre l’économie de l’attention en Algérie… sont ceux que le système ignore.

🎤 “rap conscient”

Je pense, donc je suis,
Mais j’suis flou dans ton flux.
Si j’poste pas, j’existe pas —
Bienvenue dans l’ère du bruit.

Slim Othmani Juin 2025


4 commentaires

  1. Mais le train est en marche. La jeunesse n’a pas attendu mes élucubrations intellectuelles, si on peut les qualifier ainsi, pour se lancer. Malheureusement certains ont été vite récupérés et ils ne font que ce qui leur est commandé de faire. ça ne durera qu’un temps car on est toujours rattrapé par l’évolution de la société…. merci pour votre commentaire

  2. Salut Slim,
    Je pense qu’il faut reprendre ses notes quant à la forme. Le fond est bon mais pas très accessible pour une bonne majorité.

  3. Bonjour.
    Je pense qu’on ne peut pas adopter les codes actuels de l’influence sans prendre en compte ce qui a façonné notre rapport à la communication l’information et à la confiance.
    Il y a un socle traditionnel familial, scolaire,
    institutionnel qu’on ne peut pas simplement contourner. L’évolution vers l’économie de l’attention doit s’accompagner d’un travail de continuité, voire de transmission. L’intergénérationnel, en Algérie, fonctionne encore. Il faut peut-être bâtir l’influence d’aujourd’hui sur cette base, au lieu de penser qu’on repart de zéro.

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