Mon Message aux Etudiants Algériens de Mc Gill

Temps de lecture : 3 minutes

McGill University Montreal , Mai 2025

C’est toujours un moment particulier que de prendre la parole devant une jeunesse en quête de sens, entre deux mondes, entre deux langues, entre deux cultures, entre deux fidélités. Ce que vous appelez parfois un dilemme identitaire, je le vois moi comme une double chance, à condition de l’assumer et de la nourrir.

Je viens d’une famille qui a fui la colonisation française dès le XIXe siècle, tant pour des raisons économiques que sécuritaires, trouvant refuge en Tunisie pendant trois générations. Mon père est né là-bas. Et pourtant, dès l’indépendance de l’Algérie, il a choisi de revenir dans un pays brisé mais libre. C’est ce geste qui m’habite encore aujourd’hui : revenir pour reconstruire, même dans la douleur. Cela m’a appris que l’identité n’est pas figée — elle se façonne par des actes.

Et puis, bien plus tard, au Canada, alors que je marchais avec des amis, un homme, québécois sans doute, nous a lancé sans raison apparente : « Retournez dans votre pays ! » Je lui ai répondu sans réfléchir : « Mais vous aussi, vous êtes un émigré au Canada. » Ce n’était pas qu’un mot d’esprit. C’était une vérité simple : personne ne choisit son lieu de naissance, mais chacun peut choisir ce qu’il en fait.

On croit souvent qu’il faut choisir : être d’ici ou être de là-bas. Or, ce que j’ai appris, c’est qu’on peut très bien marcher avec deux jambes, penser avec deux imaginaires, aimer deux terres. Mais cela demande une chose : arrêter de se définir par la négation ;  arréter d’inlassablement, consciement ou inconsciement, dire ce que l’on n’est pas.

Vous n’êtes pas moins canadiens parce que vous êtes fiers de vos origines.
Vous n’êtes pas moins algériens parce que vous avez choisi de vivre ailleurs.

Et surtout, n’acceptez pas qu’on vous impose une définition figée de l’identité. L’identité, c’est une construction, pas un héritage figé. Elle se raconte, elle se réinvente. Elle est autant ce que vous décidez d’en faire que ce que l’histoire vous a légué. C’est un narratif personnel, jamais un moule collectif.

Je veux aussi dire un mot sur le patriotisme, auquel je crois profondément mais aussi sur le nationalisme qui me révulse. Le Patriotisme est un amour exigeant, qui critique pour faire grandir. Le Nationalisme, lui, est d’un autre ordre. Il est souvent un réflexe de peur, ou pire, un instrument de pouvoir. Il divise, il rigidifie, il sacralise une appartenance au point d’en exclure les autres.

Le nationalisme est un outil : entre les mains d’un dirigeant autoritaire, il devient un levier pour faire taire la nuance, pour masquer les injustices, pour désigner un ennemi intérieur ou extérieur. Le patriotisme, au contraire, repose sur la responsabilité. Il ne fige pas l’identité, il l’ouvre au devenir. Il n’a pas besoin de hurler pour exister.

Le nationalisme dit : « Nous contre eux. »
Le patriotisme dit : « Nous pour nous. »

Et ça change tout !

Enfin, vous êtes la diaspora. Ce mot peut sembler abstrait. Mais il désigne une force souple, libre, lucide. Vous pouvez contribuer sans permission, sans attendre que le pays vous appelle.

Soyez donc des ponts. Des passeurs. Des éclaireurs.

La double culture n’est pas un fardeau. C’est une chance. À vous d’en faire une lumière, pas une ombre.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.