Tunisie: Peut-on encore voyager dignement avec 100 euros en poche ?

Temps de lecture : 3 minutes

Un ami tunisien, résident en Tunisie, s’est vu récemment interpellé à l’aéroport par un douanier alors qu’il s’apprêtait à embarquer pour l’étranger. Motif : il avait sur lui un billet de 100 euros. Une somme modique, équivalente à quelques repas ou à un taxi dans n’importe quelle capitale. Pourtant, il a été stoppé net, comme s’il s’agissait d’un acte délictueux.

La question posée par le fonctionnaire — « D’où vous sont venus ces 100 euros ? » — a résonné comme une violence symbolique. Car elle inverse la logique du droit : ce n’est plus à l’État de prouver une infraction, mais au citoyen de justifier chaque billet dans sa poche.

Cette scène pourrait prêter à sourire si elle n’était pas révélatrice d’une dérive réglementaire. En Tunisie, les résidents ne peuvent sortir aucune devise sans autorisation préalable. Pas même 100 euros. Ce zèle, en apparence rigoureux, est en réalité absurde et contre-productif.

Il oublie des réalités simples : des milliers de Tunisiens de l’étranger rentrent chaque année passer l’été en famille, apportant avec eux des devises qu’ils échangent, dépensent ou offrent. Des touristes laissent des pourboires ou remboursent des frais à des amis. Donner un billet à un neveu ou un frère n’est pas un crime. C’est une pratique humaine, sociale, naturelle.

En interdisant toute sortie, même minime, sans document bancaire, l’administration entretient une culture du soupçon permanent. Le citoyen devient suspect par défaut. Et si par malheur il n’a pas un sou en poche à l’arrivée dans un autre pays, il risque alors d’être vu comme un indigent. Ce paradoxe est insupportable : avec de l’argent, on vous soupçonne ; sans, on vous méprise.

La plupart des pays ont compris cela depuis longtemps. Ils appliquent des seuils de tolérance — souvent 5 000 ou 10 000 euros — en dessous desquels aucune déclaration n’est exigée. Pourquoi la Tunisie persiste-t-elle dans une approche rigide, archaïque, qui nie à ses citoyens le droit élémentaire de voyager avec un minimum de sécurité et de dignité ?

Car oui, il en va ici de dignité. Comment un pays peut-il prétendre à l’ouverture, à la confiance, à la modernisation, s’il criminalise la possession d’un billet de 100 euros ? Qui peut sérieusement croire que la santé économique du pays dépend de ce contrôle tatillon ? Les vrais flux illégaux ne passent pas par les poches des voyageurs lambda, mais par d’autres circuits bien connus — importations fictives, surfacturations, paradis fiscaux.

Ce que l’on demande ici n’est pas une dérégulation, mais un geste de bon sens. Une réforme simple, conforme aux usages internationaux :

  • Fixer un plafond raisonnable (par exemple 500 euros) de devises que tout résident tunisien peut emporter sans justification préalable.
  • Reconnaître les échanges familiaux et sociaux comme des pratiques légitimes, et non suspectes par nature.
  • Cesser de faire peser sur le citoyen ordinaire le fardeau d’une suspicion généralisée.

Ce n’est pas en traquant les 100 euros d’un voyageur que l’on réglera les déséquilibres macroéconomiques. Mais c’est ainsi, à force de mesquineries bureaucratiques, que l’on abîme la relation de confiance entre l’État et ses citoyens.

La Tunisie mérite mieux qu’un réflexe de contrôle hérité d’un autre temps. Elle mérite une politique de change humaine, lucide, alignée sur les standards internationaux, et respectueuse de la réalité sociale de son peuple.

Slim Othmani, Mai 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.