Si j’avais su que les Aurès étaient aussi fascinants !

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Courtesy « en flânant dans les aurès » 1986 Philippe Thiriez aux éditions Numidia


M’Daourouch-Madauros

Mon rituel annuel de visite de la tombe de mon père, accompagné d’amis et membres de ma famille dont ma sœur, me fait tous les ans découvrir cette région fascinante des Aurès. C’est tous les ans un émerveillement que j’attends avec impatience. Et, tous les ans c’est un chemin différent que j’emprunte pour arriver à El-Oueldja le village de la dernière demeure de mon père Salah.

Cette année, mon pèlerinage, placé sous le signe de l’histoire ancienne de l’Algérie Romaine, a commencé par la visite de la ville de M’daourouch, héritière de l’antique cité romano-numide de Madauros. Jadis appelée Montesquieu durant la période coloniale, cette ville semble enveloppée d’un mystère intemporel. Malgré mes efforts pour dater précisément la fondation de la Madauros romaine, la littérature et les lieux eux-mêmes ont gardé leurs secrets, ne laissant que des indices dans les collines majestueuses, couvertes de champs de blé, évoquant les paysages toscans du film Gladiateur.

Le site, hélas, n’attire que trop peu de visiteurs. Pourtant, j’ai trouvé réconfort en apercevant quelques couples, épris de la quiétude et de la beauté environnante. Ce lieu est une évidente invitation à l’intimité et au romantisme.

Madauros est également le berceau de plusieurs figures historiques marquantes de la région, notamment Apulée, ou Lucius Apuleius, qui y naquit et écrivit le premier roman de l’ancien monde, avant J.C., “L’Âne d’or”.

La ville moderne de M’daourouch présente malheureusement un visage peu séduisant de l’urbanisme post-colonial.. Mais à quelques kilomètres du centre, les ruines de la ville romaine de Madauros ressuscitent avec une netteté frappante le souvenir d’une intense activité commerciale et culturelle. En ce printemps, les Chardons-Marie, avec leurs fleurs violettes en capitule, insufflent une touche de vie à cet ensemble de blocs de pierre éparpillés, par une main invisible, comme les jouets d’un enfant turbulent.

Qui a donc entassé ces bâtisses de façon si désordonnée et violente ? Les Vandales, les Byzantins, les Arabes ? La vérité reste partiellement voilée, car on sait si peu de choses sur ce qui s’est vraiment passé en ces lieux. Depuis 1962, la préservation du patrimoine et les fouilles archéologiques ont été freinées, laissant ces mystères enfouis sous la poussière du temps.


Timgad- Thamugadi

Grands rinceaux d’acanthes entourant le triomphe de vénus

Durant toute mon enfance, j’ai arpenté inlassablement les ruines de Carthage, des majestueuses Thermes d’Antonin à la colline historique de Byrsa. Adolescent, mon cœur s’est épris des merveilles de Thuburbo Majus, de Douga et d’El-Djem. Plus tard, j’ai eu la chance inouïe de découvrir les splendeurs de Rome et de Pompéi. Mais la seule fois où j’ai été véritablement envoûté, ce fut à Leptis Magna, en Libye. Si je vous confie cela, c’est que Timgad m’a laissé une impression tout aussi profonde. Cette ville, à l’instar de Madauros, m’a plongé dans les profondeurs de l’histoire romaine de l’Algérie.

Encore une fois, le temps des travaux archéologiques s’est figé en 1962, sur ordre de l’administration coloniale, sans reprise de la part des autorités algériennes. Les priorités du développement national ont relégué au second plan l’histoire ancienne de cette Algérie, réceptacle de multiples civilisations, qui ne demande qu’à être redécouverte et mise en lumière pour le bonheur des générations futures et des touristes tant convoités.

Timgad fut fondée en l’an 100 par l’empereur Trajan. Initialement un lieu de repos pour les officiers de l’armée romaine, elle fut érigée sur 12 hectares et a grandi pour devenir une véritable cité dont seuls 83 hectares ont été partiellement mis à jour lors des fouilles de l’époque coloniale. Aux dires du guide qui nous a accompagnés sous une chaleur caniculaire, près de 45 hectares restent encore à découvrir.

Je vous épargne les commentaires sur la ville post-coloniale de Timgad qui mérite largement la même sentence que celle assénée à la ville de M’Daourouch.

Heureusement, l’hôtel Trajan, jouxtant le site archéologique de Timgad, porté par la volonté indéfectible de son promoteur, a fait office d’ilot de confort dans cette petite ville qui tarde à saisir sa chance de devenir un haut lieu du tourisme algérien. Mis à part sa manifestation culturelle annuelle, cette ville est peu connue du citoyen lambda, dont le calendrier de l’histoire enseignée de l’Algérie fut amputé de son histoire préislamique, confirmant l’adage « l’histoire est écrite par les vainqueurs » et oubliant la réflexion de Faulkner : « Le passé ne meurt jamais. Il n’est même jamais passé », que l’écrivain algérien Salim Bachi a tenu à nous rappeler dans son livre Dieu, Allah, Moi et les Autres.

Encore une ville dont peu de choses nous sont parvenues, mis à part ces fabuleuses ruines dont l’iconique arc de Trajan et les impressionnantes mosaïques ont fait la gloire.

En parcourant les routes des Aurès ou de l’Aurès, on comprend que cette région, traversée par tant de courants civilisationnels, cherche à se dérober à nous comme pour ne pas avouer qu’elle a cédé, toutes hontes bues, volontairement ou par la force, à tous les prétendants qui se sont présentés à ses portes. Je comprends mieux la fascination de l’empereur romain traversant les hauts plateaux ou arrivant au pied du mont Chélia, ainsi que celle des tribus des Banu Hilal, éblouies par tant de beauté. La chaîne de l’Aurès est duale : un versant vert et un versant ocre.

Cette caractéristique a-t-elle contribué à forger le tempérament des Chaouia ? That is the question.

11 commentaires

  1. J’aurais aimé visiter ces beaux endroits pendant mon séjour dans la merveilleuse Algérie!

  2. Cher Kheireddine … quelle joie de te retrouver …. donnes nous de tes nouvelles et n’hésite pas à visiter les Aures la région est d’une exceptionelle beauté et reste encore à découvrir

  3. J’ai été le témoin de Carthago Delende ..je fus noyé dans le tumulte de l’oued el abdi , mais je n’ai jamais abdiqué..Je reste pour veiller aux grains de sable qui enveloppent les linceuls des fusillés, des bébés sans sourire et des fellagas .
    La terre qui a vu naître tant de bonnes âmes ne fleuriras que tout les cent ans , elle donnera le lait , l’orge et des fois des pommes .
    La terre est si prenante qu’elle ne recule devant nul vent , même en se brisant sur les flans des crevasses roses et rouge , même si elle s’emporte les jours de sirocco, elle t’appellera chaque année pour ce pèlerinage des colombes et des chardonnerets. Et te soufflera les incontations des vieilles entrubannées aux mais rugouses et enhennées.

  4. Je ne savais pas que vous étiez un historien à ce point Allah ibarek

  5. Très belle description de cette région. C’est ma région mais je la connais si peu. Chaque année je me dit ça et chaque année je me dit que je n’ai pas eu le temps.

  6. Fabuleux récit sur une fabuleuse histoire dont le système éducatif national ne semble pas enclin à enseigner avec pédagogie et fierté .

  7. Tu aurais un merveilleux guide historique. Tu m’as fait revivre une visite de Timgad, seul sur le site. Un moment de sérénité fabuleuse à un moment où Dieu sait combien j’en avais besoin. Merci pour ton intérêt multidimensionnel.

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