La Pomme de discorde Algéro-Espagnole

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Slim Othmani – Interview non publiée (Juillet 2022)

1. Pourquoi l’Algérie s’est autant fâchée avec l’Espagne alors que d’autres pays européens (France, Pays Bas) ont aussi appuyé le plan d’autonomie marocain pour résoudre le conflit du Sahara occidental et cela n’a pas eu de conséquences sur la relation bilatérale ?

Vous auriez pu compléter votre question par un pays plus symbolique pour illustrer cette contradiction à savoir : les USA. Vous m’interpellez sur un sujet qui est effectivement pertinent mais malheureusement nous n’avons qu’une très faible visibilité quant à la politique étrangère de l’Algérie. En tant que Think-tank à vocation économique, nous avons toujours appelé les autorités Algériennes à nous éclairer sur ce sujet car il conditionne notre politique économique et par voie de conséquence celle de nos échanges internationaux.

2. Certains ministres espagnols ont insinué que l’Algérie avait été poussé par son alliée, la Russie, à s’attaquer à l’Espagne. Qu’en pensez-vous ?

En toute objectivité ce ne sont que des rumeurs dont ne voyons aucun fondement, mis à part la traditionnelle coopération avec la Russie en matière de fourniture d’armements. Est-ce suffisant ? Nous ne le pensons pas. A l’aune de la crise de la COVID ainsi que de la guerre Russie-Ukraine, ce serait avoir une lecture trop réductrice et vieillissante des bouleversements qui affectent le « Grand échiquier » si cher à Zbigniew Brezinski. Les changements de paradigmes, politique et économique, prônés par le président Tebboune et son administration s’inscrivent dans le cadre de cette nouvelle reconfiguration mondiale caractérisée entre-autre par des relents de nationalisme économique et d’un très fort repli identitaire. La mondialisation est fortement ébranlée et beaucoup de régimes y ont vu une opportunité de relance voir même de rebattre les cartes des parties qui se jouent. Loin des chaines de valeurs mondiales mais au cœur des enjeux stratégiques, l’Algérie est consciente qu’un rôle lui est prédestiné. Il faut juste qu’elle s’en donne les moyens. Ses rapports avec ses voisins directs ne doivent supporter aucune ambiguïté. Nous sommes autant dans le pré-carré de l’Espagne que l’Espagne est dans notre pré carré.

3. Quelles conséquences aura, en définitive, cette crise bilatérale sur le commerce entre l’Algérie et l’Espagne ?

Les implications ne sont pas uniquement commerciales, elles sont tout aussi au sociales. N’oublions pas que tout l’Ouest Algérien a des liens soutenus avec l’Espagne. Votre question finalement en appelle une autre. Quelles sont les objectifs inavoués des deux parties, l’Espagne par sa déclaration dont elle avait certainement anticipé la réaction de son partenaire Algérien qui à son tour par sa réaction en aurait hypothéqué les implications. Vous noterez que je n’ai pas utilisé le mot conséquences car à l’échelle de la vie des nations cet incident n’aura aucune conséquence. L’Algérie et l’Espagne n’auront d’autre choix que celui d’arriver à un accord.

4. Pensez-vous que les livraisons de gaz à l’Espagne se maintiendront malgré la crise ?

Je ne suis pas expert mais juste observateur. Ma lecture et le peu d’informations qui nous parviennent me laissent comprendre que l’Algérie ne faillira pas à ses obligations contractuelles. Ceci, ne serait-ce que pour appuyer la qualité de sa signature. La fiabilité et la confiance sont les maitres mots des relations internationales particulièrement pour ce qui est des questions énergétiques.

5. Pensez-vous que l’Espagne a raté une occasion de faire comme l’Italie, renfoncer la relation en matière d’énergie avec l’Algérie, et devenir une sorte de “hub” énergétique du sud de l’Europe ?

Non je ne le pense pas. Le développement des capacités énergétiques de l’Algérie tant en fossiles qu’en renouvelable sont très importantes et appel des investissements conséquents. L’Espagne saura sans aucun doute trouver une place de choix dans les projets qui se profilent. L’accès au marché Européen par le Hub Italie n’est pas aussi facile que celui via à l’Espagne et fort probablement que les stratèges Algériens voudront maintenir les deux fers aux feux, ce que j’aurais personnellement fait : Deux routes vers l’Europe et deux pays qui devront, dans le cadre d’accords bilatéraux, bénéficier d’un statut de partenaire stratégique privilégié, ceci indépendamment des accords avec l’UE.

6. Comment pensez-vous que l’on peut mettre fin à cette crise qui dure déjà depuis plusieurs mois ? Que doit faire chacune des parties pour se rapprocher ?

Je ne suis pas outillé pour apporter un éclairage diplomatique en cette période de crise Algéro-Espagnole.  Cependant des pistes se dégagent des réponses aux questions précédentes. Tout dépendra de la qualité d’un nécessaire dialogue soutenu au cours prochaines semaines.

7.  L’Espagne et d’autres pays du sud de l’Europe veulent que l’OTAN, qui réunira son sommet à Madrid fin juin, attache davantage d’importance au flanc sud, qu’elle prenne au sérieux les “menaces hybrides” comme l’immigration irrégulière de l’Afrique vers l’Europe ou même les menaces de couper le robinet de l’énergie. Qu’en pensez-vous ?

Votre question me pose un véritable problème. En effet l’Europe a mis du temps à comprendre ce qui se passait sur sa rive sud et les menaces qui pèsent sur elle. Nos appels incessants pour accompagner le développement du flanc sud an apportant un large soutien au secteur privé n’a trouvé aucun écho favorable auprès de l’UE. Mis à part quelques bricolages de programmes de mise à niveaux, au demeurant insignifiant, compte tenu des enjeux. En revanche l’UE s’est toujours attelée à s’assurer que le rôle de gendarme dévoué aux pouvoirs en place sur le flanc sud, bénéficie de toutes les attentions et même des inattentions.

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