Contrôle des Changes et Gouvernance Économique : le Défi de la Modernisation Financière en Algérie

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Les pays du Maghreb ont, depuis leur indépendance et jusqu’à ces dernières années, établi des systèmes économiques rigides, principalement axés sur le contrôle des flux de devises étrangères. Ce contrôle des changes, justifié pour certains et injustifié pour d’autres, fut présenté par les partisans de son application, comme un instrument de souveraineté non discutable.

  1. Pour ce qui nous concerne en Algérie, l’impact de cette politique monétaire fut accompagné par une gestion opaque du taux de change du dinar et par des réglementations commerciales oppressantes et restrictives, entraînant un clientélisme exacerbé, porte ouverte à toutes les formes de corruptions et de rétrocommissions, souvent en rapport avec des connexions politiques.
  2. Licences d’importation, taxes parafiscales et taxes douanières excessives sur des listes régulièrement mises à jour de produits, pour ne nommer que ces exemples, ont proliféré dans les lois de finances au cours des dernières années. Au-delà des dégâts que ces restrictions administratives occasionnent au développement de l’économie nationale, il faut observer que celles-ci se sont toujours accompagnées d’une surévaluation du taux de change du dinar qui, sous le prétexte économiquement injustifié et intenable de stabilité des prix et de protection du pouvoir d’achat, est le paravent idéal à l’encouragement de l’importation au profit de clientèles politiques patentées et d’initiés ayant leurs entrées dans les administrations.
  3. Dans ce contexte, l’entrepreneur algérien, traditionnellement reconnu comme créateur de richesse et d’emplois, a été réduit au rang de dépendant du système au pouvoir. Tout a été conçu pour renforcer l’idée que le système politique maîtrisait le pouvoir de conférer l’accès à la devise, tout en veillant à ce que l’économie dans son ensemble n’engendre pas une fuite de ces mêmes devises.
  4. Ce qui a été omis, c’est que cette forme de contrôle des changes s’applique tant aux individus qu’aux entreprises, ignorant les besoins  légitimes en devises étrangères de chacun.
  5. La nature humaine trouvant toujours le moyen de contourner les obstacles, on a ainsi vu les entreprises adopter des stratégies de contournement, certes répréhensibles, allant de la surfacturation de transactions internationales à la création de sociétés dans des paradis fiscaux, pour centraliser les achats et procéder à une remontée des profits. La surévaluation structurelle de la monnaie nationale alimente et exacerbe ces détours par rapport à la loi, de même qu’elle offre un terreau idéal pour la grande corruption.
  6. Les individus quant à eux, sous la pression de besoins aussi élémentaires que le financement d’études ou soins à l’étranger mais aussi celui de déplacement personnels et autres voyages de tourisme,  se sont tournés vers le marché noir (parallèle), alimenté par la diaspora ainsi que par d’autres canaux occultes.
  7. Sans défendre cet incivisme règlementaire et fiscal des entreprises mais aussi des citoyens, force est de constater qu’en Algérie, le problème de l’accès à la devise n’a jamais été pris à bras le corps et l’idée d’un véritable marché des changes correctement régulé, comme cela se passe dans toute économie moderne, ne semble toujours pas d’actualité.
  8. Un marché accessible à tous et où la monnaie du pays trouverait sa véritable cotation, reflet sincère de la santé de notre économie, pas celle établie de façon opaque par une bureaucratie qui ne semble pas prendre la pleine mesure des enjeux. La simple analyse de la lente dérive, sur une longue période, de la valeur de notre monnaie, témoigne clairement des dommages causés aussi bien à nos concitoyens, à nos entreprises, au développement de notre économie et, par-dessus tout, à l’image de notre pays.
  9. L’absence de confiance, entre gouvernants et gouvernés, ainsi que l’absence d’un programme sérieux de réformes économique sont en fait au cœur du problème.

En conclusion

Des quelques considérations ci-dessus, le sentiment qui se dégage est que, derrière le nombre important d’accusations de surfacturation et autres détournements de devises, se niche un problème grave et sérieux qui, de proche en proche et depuis très longtemps, fausse totalement la saine perception de notre relation au monde et de nos partenaires économiques aux quatre coins du globe.

Mais rendons-nous à l’évidence ! est-il encore permis de parler de fraude quand, au vu et au su de tout le monde, l’achat et la vente de devises étrangères se réalise, non pas dans des institutions et/ou des établissements officiels sains et clairement identifiés, mais à travers des transactions furtives opérées au coin des rues obscures de nos cités ?

Il ne sert à rien de réprimer tel ou tel responsable ministériel et tel ou tel chef d’entreprise, si on ne tire pas la conclusion véritable qui s’impose. Notre pays a, depuis la plus haute antiquité, été ouvert au monde et s’est enrichi, sous des formes diverses, de ces contacts fertiles. En ces temps de mondialisation économique et de rapprochement irréversible entre tous les peuples de notre petite planète, l’enfermement sur soi est un penchant mortel. Pour cela notre responsabilité collective est essentielle pour protéger notre pays.

5 commentaires

  1. La crainte majeure pour une convertibilité de notre monnaie réside aussi dans la fuite des capitaux vers l’étranger et la vulnérabilité des recettes en devises dûe à la faiblesse on ne peut plus remarquable de notre diversification économique, les ressources fossiles constituent l’essentiel de nos possibilités en monnaies fortes.
    Néanmoins, un nouveau dinar apparaît comme une solution envisageable pour le moment dans le but de lutter contre l’inflation galopante.
    Ceci, ne devrait pas exclure la réflexion sérieuse à équilibrer nos ressources en devises par l’encouragement des exportations en dehors des hydrocarbures et moyennant les modes universels ça intéresserait les agriculteurs et les industriels en particulier.

  2. Il est urgent de mettre en place une convertibilité totale du dinars algérien à plus ou moins brève échéance. La persistance de l’anachronisme actuel nuit gravement à l’économie et au bien-être des citoyens algériens.

  3. Merci Slim pour cette note bien précise et ô combien essentielle. Cette réalité est si essentielle que tout projet ou initiative d’investissement, en particulier de la diaspora, trouvera sur son chemin cette barrière infranchissable, même si certains y arrivent temporairement par leurs connections favorisées par la conjoncture du moment. Cette réalité rend à terme ces initiatives infructueuses et économiquement hasardeuses.

  4. J’adhère totalement a cette analyse. Le gouvernement doit mettre en place un plan de convertibilité du dinars a une échéance proche.

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